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Achémb'é
12 juillet 2019

Le marinier

Voici plus de cent nuits que je brique la fontaine de ma vouivre. Elle n'est pas loin d'avoir retrouvé sa blancheur d'origine. 

Les villageois passent devant et ne se rendent compte de rien. Il faut dire que tous vont à voiture, excepté le vieil homme courbé qui salue de sa canne les mines affairées, nez collés au pare-brise ou plongés dans l'écran de leurs smartphones. 

On entend parfois le rire d'un enfant s'échapper d'une cours intérieure, mais très vite on le rabroue; c'est l'heure du bain, des devoirs, du souper, et dehors il fait trop humide, trop sale... et des insectes voraces porteurs de terribles maladies peuvent à tout moment sortir d'un buisson et vous sucer le sang jusqu'à la mort qui partout veille en embuscade. 

Seul le marinier  échappe à cette morne norme. Il va du seuil de sa maison jusqu'au canal, titubant, ivre, et appelle les péniches qui accostent invisibles, le long des berges. Il en inspecte les marchandises, fulmine de leurs prétendus retards, pointe du doigt les points de rouille qui rongent leurs coques. 

Il y a quelques jours,  une jeunesse de passage s'est massée près de l'écluse, les yeux rougis par la fumée d'un cannabis aux relents de pneus, s'est moquée de lui à grands renforts de rires aigues et d'insultes dignes des hyènes d'un palais. Le marinier a  couru chez lui, sorti le fusil, et c'est en forcené qu'il fut maîtrisé par quelques gendarmes arrivés sur les lieux, sirènes hurlantes. 

Le crépuscule d'ici n'est depuis qu'un trou vide. J'ai hâte de finir la tâche qui m'incombe et de ne mettre plus jamais les pieds en ce bourg fantôme. 

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