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Achémb'é
6 juillet 2019

Comme un Vendredi sans maître

Achémb'é était mort à la vie. Toute sa famille avait sombré dans les flots sans nom de la cruauté humaine, surnaturelle. Sa femme d'abord; de la famine dans un pays jadis verdoyant. Il y avait eu la mine dont l'occident faisait reluire ses lumières, puis la guerre, ce champ de ruines où jouent les généraux et se repaîssent les marchands d'armes, et enfin toutes ces pluies retenues dans les champs des maïs OGM. 

Au nord on les regardait périr, la larme à l'oeil les dents ruisselantes de viande rouge. 

Ensuite sa mère fut noyée sous la vague écarlate de la Méditerranée, et son fils, son cher fils, subit le sort malheureux des esclaves  de quelques passeurs libyens religieusement sans taches, pendu pour sa vertu. 

Réfugié anonyme, Achémb'é vaquait sa peine sous les ponts de Paris. Amouraché malgré lui d'un jeune pâtre  des faubourgs trop lettré pour se mêler à la foule hurlante des coureurs de métro, son coeur s'était remis à battre pour un enfant, touché par l'innocence de la folie que délivre la lecture des livres de l'Orient.

Lui, l'effarouché de la foi, qu'elle soit autochtone païenne et aliénante ou issue d'un monisme colonial et destructeur, avait trouvé Dieu en ces boucles blondes en batailles et cette barbe juvénile, jusqu'à ce que la Seine n'emporte ce corps lardé de coups de couteau. Bagarre ordinaire au pays de la misère; lacérage contre une paire de chaussure neuve et une solde de soldat du RSA....

Une larme ou deux ruisselées sur ses joues, la source des sentiments ne se tarirait donc jamais, Achémb'é était retourné dans la tente à l'abandon du défunt avant qu'un autre échoué du bout du monde où grondent les monstres marins ne s'empare du lieu et en jette le contenu dans la boue. Il prit le sac empli d'ouvrages si chers à celui dont il venait d'hériter hors closes testamentaires et s'enfuit chargé de ce seul bagage hors de la capitale. 

S'enfonçant toujours plus avant dans des contrées sauvages, il se réfugia au creux d'une forêt et se construisit une hutte de branchages et de boue comme ses pères l'avaient fait avant lui en sa terre natale. 

Sa peau sombre se confondait  à l'humus des sous bois. Invisible aux yeux des promeneurs, il devint un Vendredi sans maître Crusoé à servir et se nourrit durant mille ans autant de chasse que de lectures saintes. 

Dieu se couvrit de cheveux ébènes, de pagnes glanés sur les fils à linge des villages alentours et d'un sourire de nacre sur un visage ridé par les deuils bien plus que par le passage des âges.

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