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Achémb'é
26 juillet 2019

Fin des temps circulaires

Les nuages étiraient leurs longs bras laineux sur le drap bleu du ciel. J'avais la tête en bas. Le nez au sol, je me délectais des effluves de la terre mouillée. Qui donc à ces instants bénis aurait pu vivre aussi intensément que moi? Un fou? Une meute d'enfants sortie tout droit d'un conte de fées? Le miraculé d'une apocalypse millénaire? Je n'avais enfin plus aucune importance. Ce corps, cet esprit, cet intellect toujours en mouvement... un fétu de paille, une étincelle dans un feu de camp, un cri inaudible. 

Quoi que je fasse ou ne fasse pas, le monde était là qui allait son chemin. Nul sens ou contresens, pas de direction, aucune arrivée ni point de départ. 

La Prêtresse veillait sur moi comme une mère veille les premiers jours d'un nourrisson. Ses yeux m'enveloppaient  tout entier, et j'étais aussi vaste que l'espace, ses mots me baignaient de silence, tandis que le reste du groupe vaquait à ses occupations.

Achémb'é restait en retrait. Les yeux dans le lointain,  il fouillait l'horizon à la recherche de quelques songes échappés de sa mémoire. Il y avait ces gros pachydermes que l'on empile comme des briques de lego, ces arbres déracinés qui se pétrifient dans les sables du désert, ces marins qui parlent de reprendre la mer et leurs rafiots  échoués sur la plage, chargés de trésors et de tonneaux de rhum... toutes ces histoires qu'il tissait sur son vieux métier pour nous les offrir le soir venu, border nos rêves de ses rêves. 

Sahaja avait rejoint le groupe des suivantes bigarrées qui se pressaient autour des pèlerins fatigués, pansaient leurs blessures et faisaient rire les enfants et les femmes perdus sur les routes d'un devenir incertain. D'elle je ne voyais plus qu'une chevelure chatoyante danser parmi d'autres chevelures. Elle s'était fondue dans l'argile des âmes, sa demeure véritable, qu'elle avait quitté le temps de m'accoucher. Mon heure était venue de me dissoudre à mon tour dans cette masse dont on fait tous les pots, mais je resistais comme le nouveau né au berceau qui réclame en pleurant les gloires de ses vies passées. 

 

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